DES HOMMES ET DES DIEUX , DES GOUTS ET DES COULEURS
Je m'émerveille de l'étonnante souplesse avec laquelle nos critiques cinématographiques s'emparent du film de XAVIER BEAUVOIS. Ils le louangent avec ces mêmes trémolos dont ils accueillent n'importe quel film anticlérical. Ils n'assument pas de contradictions, ne s'embarassent pas de nuances. Comme d'habitude, ils exhibent l'alibi esthétique et...."la Messe est dite !" !
Indéniablement, les images sont belles. Notre dernier aperçu des moines évoque (cite ?) le "Perceval" de CHRETIEN DE TROYES. Et les Religieux, ces Chevaliers de l'Amour, les "Trés Purs" sont interprêtés par d'extraordinaires acteurs, visiblement portés par la grâce.
Mais enfin, c'est tout de même une QUESTION que pose ce film. Impossible de regarder ailleurs: il faut répondre !
Comment répondre ? Je pense que l'on peut tirer une grande leçon des découvertes de la Physique contemporaine. Pour tenter de cerner l'objet observé, il faut situer l'Observateur. C'est la leçon que nos meilleurs écrivains nous transmettent au niveau littéraire. LAURENT BINET et TOBIE NATHAN, entre autres, nous en ont donné récemment l'éblouissante démonstration !
Où suis-je, donc, moi-même, tandis que je tente d'approcher de ce film si fascinant ?
Je ne parle pas, foncièrement, de L'EXTERIEUR : j'ai été baptisé dans une Eglise Catholique, dès mes premiers jours. J'ai, par la suite, fait ma Première Communion et ma Confirmation. Ces deux derniers évènements ne relèvent pas dela pure convenance sociale : enfant, adolescent, j'étais très pieux.
Dès le départ, pourtant, je me suis trouvé confronté à une certaine profondeur de champ: quatre ans après la découverte des camps d'extermination, c'est une femme Juive qui m'a porté sur les fonts baptismaux chrétiens. Pourquoi ? Je l'ignore. Toujours est-il qu'une telle évidence, ça vous marque définitivement un Homme. Ma grand-mère, Marie-Louise, avait été Résistante pendant la guerre. C'était une très humble Femme du Peuple qui ne s'en vantait pas. C'est elle qui m'a élevé.
En Bretagne, de plus, on adore quantité de Saints qui n'ont pas l'air très catholiques. Pour la plupart, ils sont récusés par le Vatican. De vieilles croyances celtes survivent secrètement. JULIEN GRACQ a pris un "malin plaisir" à les éclairer dans ce "Roi-pêcheur" qui fut le sujet de l'un de mes mémoires universitaires.
Bien avant, j'ai été happé par le Surréalisme qui, tout en restant obsédé par le Sacré, ne ménage pas ses insultes et ses provocations à l'égard de l'Eglise. C'est un excès qui fut compréhensible à une certaine époque. Je ne l'ai jamais partagé quoique je sois conscient du lourd poids de culpabilité que la Religion fait peser sur les épaules des jeunes gens.
Entraîné par d'autres écrivains "idolâtrés", notamment les membres du "Grand Jeu", je me suis intéressé à toutes les Spiritualités du Monde, bien convaincu qu'à un certain degré d'incandescence elles rendaient toutes compte du même ineffable Réel.
C'est depuis ce "relativisme culturel" que la Mondialisation rendra inévitable, c'est depuis ce "relativisme culturel" que j'assume, sans renier mes "racines", dans la Fierté, que je parle.
Je ne dirais pas: "Des hommes et des Dieux". Plutôt: des regards convergents vers l'Etre, ou qui devraient l'être, mais ,trop empêtrés dans des rites matériels, divergent, s'égarent, se confrontent.
Et je me demande: "Que vont faire ces pères blancs -comme neige- dans ces lointains univers ?". Ignorent-ils que leurs Maîtres sont venus à la suite des Colonisateurs Européens et qu'ils ne sont pas vraiment, là-bas, en "odeur de Sainteté" pour tout le Monde. On nous dit qu'ils évitent tout prosélytisme, que leur démarche est purement fraternelle. Evidemment. Mais leur générosité peut faire "école". Et si l'Esprit Saint souffle sur leurs amis Musulmans, leur proposeront-ils un paravent ? J'en doute !
On pourrait ne pas trop s'en formaliser: les deux derniers Monothéismes rivalisent un peu partout de séduction. Ce commerce-là est, somme toute, préférable aux barbaries guerrières (restreintes mais cruellement actives). Mais pour ces bons Pères Catholiques, malheur ! D'autres concurrents sévissent et brandissent leur Livre en Algérie. Ce sont les Evangélistes, ces acharnés convertisseurs qui sèment une belle pagaille et entraînent un rejet épidermique et global de la Croix chez les pieux Musulmans. Cela entraîne un climat de confusion qui peut peser lourd.
Mais pourquoi exporter notre Spiritualité de l'autre côté de la Méditerranée ? Le film nous montre des hommes de Religion pleins de sagesse et de bonté qui secourent de malheureux "Indigènes" qui, d'ailleurs, les aiment beaucoup. Parfois, il est vrai, ils assistent à des fêtes musulmanes et même ouvrent le Coran.
C'est tout.
Je ne connais pas bien l'Algérie mais j'ai tout de même entendu parler d'hommes sages et généreux qui aiment et guident leur Peuple. Ils ne sont pas tous extrémistes. Et, parfois, ça leur coûte cher. Je trouve qu'on ne les voit pas suffisamment dans ce film.
Or, il me semble que CHRISTIAN DE CHERGE, le Maître de ce Monastère, si attachant sous les traits de LAMBERT WILSON, était extrêmement investi dans le dialogue interreligieux. C'est ce qui me retient le plus dans sa personnalité. C'est ce qui lui vaut toute ma sympathie (qui ne relève nullement de la "névrose de conversion") et emporte même, in extremis ! , mon adhésion. Oserais-je avouer que, plus encore que ce beau film, c'est sa lettre-testament, écrite quelques années avant le crime, qui m'a bouleversé. C'est l'Oeuvre d'une grande âme, d'un Homme épris d'Idéal, de véritable Amour et de respect pour le Peuple qu'il désire servir.
Cela se termine ainsi:
"AMEN ! Incha Allah !
Ceux qui s'estiment s'y reconnaîtront.
Dominique Gabriel NOURRY