JE ME SOUVIENS DE LA PLACE CLICHY
Pour Olivier et tous mes Amis de " Made in Place Clichy "
Pour Eva qui n'appartient pas aux Souvenirs mais aux Avenirs
Je me souviens de la Place Clichy
quand je l'ai rencontrée sous la pluie
si loin de Saint-Malo
le socle
de Charles Fourier
n'était pas investi
par ce fruit
à la Gloire
d'Apple
qui aurait osé
sculpter nos Vives
Utopies ?
quelques encablures plus loin
rue Blanche
l' Ombre Alchimie
d' André Breton
murmurait encore
l'Ode :
"En ce temps-là je ne te connaissais que de vue
Je ne sais même plus comment tu es habillé
Dans le genre neutre sans doute on ne fait pas mieux
Mais on ne saurait trop complimenter les édiles
De t'avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs
c'est ta place aux heures de fort tangage
Quand la ville se soulève
Et que de proche en proche la mer gagne ces coteaux tout spirituels
Dont la dernière treille porte les étoiles
Ou plus souvent quand s'organise la grande battue nocturne du désir
Dans une forêt dont tous les oiseaux sont des flammes ....."
en ce Temps-là
d'humeur papillonne
et pas encore cabaliste
je m'étais séparé
non sans douleur
de mes enfants relégués
rue de Clichy
pour investir
un minuscule taudis
rue Capron
et de nouvelles Amours
vite évanouies
la Place nous a progressivement
laissé dériver
vers d' autres Vies
devant la Maison de Jeux
c'était un étrange Sphinx
qui veillait sur eux
cette vieille Dame de soixante-dix ans
sortait à peine
d'un dessin
de Faisan
sobrement élégante
comme si elle revenait
d'un enterrement
encore habitué
aux bonnes manières Bretonnes
je ne manquais jamais
de la saluer
lorsque je passais
devant elle
et nous faisions
un brin
de causette
son Verbe était aussi raffiné
que son apparence
elle semblait toujours attendre
un invisible taxi
un jour elle m'a dit fort courtoisement :
" Mon cher Monsieur
je suis Péripatéticienne
n'hésitez pas
à faire appel
à mes services "
mais je préférais aller
du côté de la rue Nollet
me répéter
" la ballade de la visite nocturne "
de Max Jacob
qui par une nuit d'hiver
vint toucher
du bout des doigts
la maison de sa Bien Aimée
je me souviens de la Place Clichy
et du Sage
qui méprisant les abris
installait
ses cartons
et son rudimentaire mobilier
dans une alcove du Flunch
la Vérité sortait toujours
de sa bouche
je me souviens
de ce bar dans ma rue
où nous souriait
Anne-Valérie
le D' Klic Arts Club
j'y invitais sans cérémonie
mes Amis Ecrivains
pour une rencontre une lecture
Armand parfois filmait
je suis sûr
qu'il nous montrera ça
lorsque la Littérature
n'était pas de la partie
avec Patrick
le demi-frère
de Guy Debord
et ses Amies
nous buvions de petits verres
en échangeant des paroles légères
comme la fumée de nos cigarettes
et lorsque j'étais las de boire à Paris
je retournais boire en Bretagne
je travaillais énormément
mais si loin si loin de Montmartre
private Joke
Blaise
que je préfère
l'oublier
je me souviens de la Place Clichy
et du bar le Wepler
où je donnais mes rendez-vous
un soir j'attendais
une Comédienne inconnue
je ne vous dirais comment
contactée
je dévisageais les consommatrices
et vaguement inquiet
demandais à la plus troublante
" Etes-vous Comédienne ? "
ravie elle me répondit "Oui"
puis s'excusa de sa Folie
ce n'était pas Nadja
c'était encore mieux
c'était Julie
une Femme Poète
intensément vivante
qui fut deux ans durant
toute mon existence
ce n'était pas elle évidemment que je devais rencontrer
dès le début
sur cassettes
j'ai entendu
ses chroniques vocales
diffusées sur Radio Nova
magie d'une voix
magie d'une âme
qui saurait aujourd'hui
redécouvrir ces précieuses Merveilles
le documentaire
que réalisa
sur elle pour la Télévision
Dominique Gros
en 1995
je crois
nous sépara
mon évidente Présence
au Grand jour
de sa Vie
se résuma
dans le film
en un Nocturne
de Chopin
depuis je crois
que tous deux
nous sommes plus heureux
je me souviens de la Place Clichy
et de la rue des Dames
si bien nommée
dans un restaurant Indien
aujourd'hui disparu
au milieu d'une jungle de statues
de plantes d'ombres diverses
où le serveur disparaissait comme un chat
que d'émois
de regards échangés
de sentiers découverts
je me souviens du Temps qui a passé
de mon visage qui a vieilli
dans les vitrines de ce quartier
de Saint-Malo toujours enlacée
aux labyrinthes de la Mémoire
jusque dans les ruelles
les plus dépaysées
de mes dérives
je me souviens déjà
des belles projections du Cinéma des Cinéastes
des Performances
du BAL
dont me hantent les photos
et du sourire de mes nouveaux Amis
Made in Place Clichy
toujours rénovée
jamais métamorphosée
et plutôt
que de déplorer l' Exode
je préfère me répéter
l' "Ode"
pour saluer encore
Breton
" Fourier es-tu toujours là
Comme au temps où tu t'entêtais dans tes plis de bronze à faire dévier le train des baraques foraines
Depuis qu'elles ont disparu c'est toi qui es incandescent "
avant de m'éclipser
de ce Poème Documentaire
sans socle
mais non
sans Nostalgie
Dominique Gabriel NOURRY