JEAN-PAUL BOURRE, UN GUERRIER ROMANTIQUE
"I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked"
Allen GINSBERG: "Howl"
Se faire Voyant par "un long, raisonné, dérèglement de tous les sens." Tel est leprogramme du Romantisme que Rimbaud mit "à jour". JEAN-PAUL BOURRE s'en souvient et, se racontant lui-même, fait le portrait d'une génération plus que toute autre perdue. Les jeunes cadres, dont la parole seule nous parvient aujourd'hui, semblent s'être cloîtrés dans leurs attachés-cases, plus épris des courbes du profit que de celles de leurs compagnes et méprisent, sans souci de nuances, la génération qui les enfanta.
JEAN-PAUL BOURRE, d'abord fasciné par la quête beatnick, ne devint pas pour autant un gentil hippie. Le bon Docteur LACAN a su, lors d'une "représentation" mémorable", diagnostiquer son "délire mystique". Evidemment, lorsque le poète se fait observateur, c'est le clinicien qui se trouve épinglé: le délire scientiste, si autorisé qu'il soit par la société contemporaine, aux yeux du Poète relève lui-même, purement et simplement du symptôme. D'ailleurs, on est toujours le fou de quelqu'un et le "Saint Homme" de la Psychanalyse se trouve à son tour mal "calculé" par les épaisses brutes du Comportementalisme et de la Neurobiologie !
Il nous faut donc maintenant, dans un même élan, défendre les poètes de la Psyche et les magiciens du Verbe, qui, malgré les apparences, savent garder le cap...
"Malgré les apparences".... Le chemin de JEAN-PAUL BOURRE, effectivement, semble sinueux: il s'envole vers le ciel puis plonge enenfer, puis ressurgit, s'enterre, s'enferre, infernal et s'archangélise. Du moins demeure-t-on toujours dans le même paradigme. Fleurs du Mal ou Fleurs du Bien, l'écrivain nous offre toujours un éclatant bouquet.
Ce bouquet vous pouvez le poser sur la tombe d'une vieille Civilisation, éprise de terre et de sortilèges. Naïve, peut-être. Mais nos pensées binaires le sont-elles vraiment moins ?
Dans ses premières errances, l'auteur de "Guerrier du rêve" m'a précédé de peu: nous avons fréquenté les mêmes bars et les mêmes boites. Nous y avons joué le même rôle. Ensuite, nous nous séparons: tandis qu'il reste fidèle à la Bohème littéraire, moi, je m'implique totalement,sept jours sur sept, pendant plusieurs années dans ma formation de comédien. J'écris beaucoup mais je fréquente peu les milieux de la Jeune Garde littéraire. Nous nous croisons pourtant parfois et j'ai la plus vive admiration pour ce que j'aperçois de sa personne et de son oeuvre.
Au Vieux Colombier, en souvenir d'Artaud, nous sommes là tous les deux. Je ne crois pas être monté sur la scène. J'étais totalement ivre et lorsqu'est intervenue, pour arrêter la fête, une escouade de policiers, j'ai voulu la "charger" tout seul et je n'ai dû mon salut qu'à la bienveillance musclée de mon ami, l'écrivain G. O. Chateaureynaud !
JEAN-PAUL BOURRE voyage beaucoup sur la planète et dans sa tête. Il est le frère ardent des "Dharma Bums" de KEROUAC. J'admire sa grande santé: moi, je me suis arrêté dès mes -très mauvais- premiers voyages. Contrairement à lui et au peintre JACQUES DIARD que je fréquentais beaucoup, je ne détenais ni le mot ni la formule des Shamans et chacune de mes expéditions surles chemins du "trip" se solda par une mutilation..
Toujours est-il que nous apercevions ce monde technocratique et totalement horizontal qui menaçait. Nous cherchions des issues, désespérément, vers la Transcendance mais nous n'avions déjà plus le goût de la nécessaire ascèse.
Cette époque -notre jeunesse- fut sans guerre. Cela fut, sans doute, une chance extraordinaire. Mais il ne faut pas oublier que nous vivions sous la menace de l'Apocalypse. La science pouvait devenir folle. Le nucléaire, qui avait déjà enfanté les monstres d'Hiroshima, risquait de frapper encore. Nous nous sentions, consciemment ou inconsciemment, en sursis.
Est-ce un hasard si la métaphore la plus fréquente sous la plume de JEAN-PAUL BOURRE est celle de l'explosion ?
Comme les Surréalistes, comme les artistes du Pop Art, nous n'avions souvent pour nous défendre que les pauvres images de notre culture enfantine. Nous dressions de frêles barricades de papier face aux rouleaux compresseurs de la Modernité. Et puis, Dieu avait apparemment permis la Shoah. La tentation était grande de se tourner, même avec ironie, vers l'Ennemi, celui qui porte la lumière. Les Vampires peuvent-ils être vraiment pires que les Nazis ?
JEAN-PAUL BOURRE fut un précurseur des Messes rouges ou noires, somme toute, très catholiques avant de retomber, de ci, de là, dans les bras de la Vierge de son enfance.
Elle règne toujours sur cette terre d'Auvergne à laquelle il est attaché. Faut-il le lui reprocher ? Pourquoi les anciens Pays et les Dieux Paîens devraient-ils se laisser annexer par les Fascistes qui les revendiquent ? En Bretagne, beaucoup conjuguent l'amour du grand large et le culte de la lande. Les civilisations se rencontrent, se métissent sans s'effacer, s'épanouissent dansla bienveillance et c'est pour le plus grand bien de l'humanité.
Preuve qu'il n'est pas indifférent aux misères du Monde, dans les derniers chapitresle poète, témoin lyrique, se rend au chevet des peuples qu'il juge en danger. Est-ce uniquement pour écrire des livres ou prouver sa valeur de chevalier (servant) qu'il s'aventure sur le "théâtre" des guerres? Je ne le crois pas.
Ce que révèle l'écriture, pleine de verve de JEAN-PAUL BOURRE, c'est un homme pleinement humain, généreux, un adolescent joueur, passionné, enthousiaste qui refuse, désespérément, de se rendre et nous entraîne, un peu effrayés et tout à fait émerveillés, dans sa HAUTE DERIVE.
JEAN-PAUL BOURRE : "Guerrier du rêve" (Les Belles Lettres)
JEAN-PAUL BOURRE anime régulièrement une émission sur la radio "Ici et Maintenant"