D'ici Dance

LA COUPE ET LES LEVRES

Et qui pourrait dire ce corps

Sinon moi , son chantre et son prêtre ,

Et son esclave humble et son maître

Qui s'en damnerait sans remords

 

Son cher corps rare , harmonieux

Suave , blanc comme une rose

Blanche , blanc de lait pur , et rose

Comme un lis sous de pourpres cieux

 

 

Paul VERLAINE : A la Princesse Roukine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Morgan tentait de survivre en disant ses Poèmes , tant bien que mal , ici ou là , dans des théâtres , des cabarets ou même des bars sans qualité où des ivrognes , baroudeurs la nuit parfois l'écoutaient ...

 

Depuis quelque temps , il s'était établi à la Maison de Verlaine , rue Descartes , dans le quartier de la Contrescarpe à Paris .

Il avait pris connaissance du lieu par un entrefilet du journal " Libération " et s'était immédiatement présenté , non sans avoir , au préalable , écrit un Poème sur le Maître des lieux au XIXe siècle :

 

"Verlaine, Verlaine ,

ne partez pas !

ne nous laissez pas seuls

avec nos mains vides

nos vies plombées

 

Verlaine , Verlaine

ne partez pas !

il reste encore à boire

et peut-être

qui sait

à aimer !!! "

 

C''était évidemment beaucoup  plus long mais je n'aime guère retenir les textes de ceux qui m'apparaissent comme de dangereux rivaux !!!

 

Toujours est-il que cela plut au propriétaire du cabaret : Maurice T.

 

C'était un homme mûr qui , après s'être produit au Club des Poètes , tentait de voler de ses propres ailes en imitant Jean-Pierre ROSNAY .

Ce n'était pas gagné !!!

 

Ce que faisait de mieux Maurice T. , ce n'était pas de lire des poèmes mais de raconter -avec nombre d'allusions inutilement salaces - la vie de Verlaine .

 

Vie pleine de hauts et de bas , de "vices" et de repentirs , d' hommes et de femmes , de bigoterie et de libertinage !!!

Ce qui ressort -indépendamment de tout jugement moral - c'est une absence de volonté très étonnante !!!

 

Il  n'en reste pas moins que Verlaine nous a laissé de très agréables Poèmes ( "Romances sans paroles " , "Les fêtes galantes ") qui ne rencontrent pas l'audience qu'ils méritent !!!

 

Maurice T. , lui , n'hésitait pas à citer l'un de ces poèmes érotiques du buveur d'absinthe qui pouvait appâter et fidéliser le public très clairsemé :

 

"Ton regard ficelle et gobeur

Qui sait se mouiller puis qui mouille

Où toute la godaille grouille

Sans reproche , oh non ! mais sans peur ,

 

Toute ta figure  -des pieds

Cambrés vers toutes les étreintes

Aux traits crépis , aux mèches teintes ,

Par nos longs baisers épiés -

 

Ravigote les roquentins ,

Et les cidevant jeunes hommes

Que voilà bientôt que nous sommes ,

Nous électrise en vieux pantins ,

 

Fait de nous de vrais bacheliers ,

Empressés autour de ta croupe ,

Humant la chair comme une soupe ,

Prêts à râler sous tes souliers "

 

 

La petite musique ?

Mais oui ! C'est même dans l' Art Poétique de notre Homme :

 

" De la musique avant toute chose " !!!

 

Bien avant Céline ?

 

Mais oui ! bien avant Céline, en solo , pas en salaud !!!

 

Il y a même -remarque, mine de rien - le nom du héros de la Nausée de Sartre !

 

Le monde est petit ! Le Temps , aussi !!!

 

 

Et puis, ce Verlaine, ce clodo, cet alcoolo , nous a filé Rimbaud !!!

 

La Passe!!!

 

 

Humilié, quitté , délabré, de son grand jeune Homme, il n'a jamais voulu rien lâcher !

Et nous l'a livré !!!

 

Merci , Monsieur Verlaine !!!

 

 

 

 

 

Dans la cave de la rue Descartes , en écoutant Maurice T. , Morgan comprend que Verlaine lui , fréquentait les hautes sphères de l' immeuble où habitait , tandis qu'il s'achevait, l'une des deux putains égayaient sa vie .

Je crois qu'elle s'appelait Eugénie KRANTZ .... ou quelque chose comme ça !!!

 

 

 

 

 

 

 

Les soirées de la Maison de Verlaine - malgré l'incontestable talent de quelques chanteurs et comédiens -et chanteuses et comédiennes !!! _ n'étaient guère fréquentées : les  Parisiens , en ce temps-là , n'aimaient pas la poésie !!!

 

Pouett !!! pouett !!!

 

Que la politique est plus excitante avec sa langue de bois quand elle roule une pelle à la vieille Marianne -qui ne porte jamais plainte !!!

 

Maurice T. était doté d'un talent discutable, portait des costumes de velours élimés, avait le cheveu et l'esprit gras , se vantait de prouesses sexuelles peu crédibles en termes fort vulgaires mais il avait une immense qualité , rare dans ce milieu :

 

Il payait ses Artistes ! Même quand ils jouaient -c'était parfois le cas !!! - devant une salle TOTALEMENT VIDE !!!

 

 

 

 

 

Morgan s'était lié avec un chanteur miséreux mais cordial qui se faisait appeler "Freedom " .

Tous deux se retrouvaient parfois dans le désoeuvrement des après-midi de printemps pour errer dans le quartier des Halles .

Ils y buvaient beaucoup trop , dialoguaient pâteusement avec les îvrognes du Conway's rue Saint- Denis ( Il y avait un chanteur de Rock qui s'appelait Jim ) et se perdaient dans les venelles où les prostituées , les voyant loqueteux , ne les hélaient même pas !!!

 

 

A force de se perdre , de se laisser perdre, d'être libre et disponible , on finit par découvrir quelque chose .

 

Un samedi après-midi, Freedom leva les yeux du pavé où il espérait toujours une pièce  et aperçut l'enseigne d'un cabaret : " Le Tintamarre " . Le Hasard voulait ( c'est un être très volontaire !!! ) que devait s'y tenir une scène ouverte .

 

Pour un comédien-poète , ce n'était guère engageant , mais pour un chanteur de variétés, si !!!

 

Freedom entra et Morgan le suivit .

 

Il y  avait déjà un impressionnant public !!!

 

Un Animateur , joli et gentil comme ceux de la télévision explique l'étrange règle du jeu du lieu :

 

D'abord , tu t'inscris . Lorsque vient ton tour , tu fais dix minutes de ton show  .

Les spectateurs ont à leur disposition des PANTOUFLES . Si tu déplais, les pantoufles, tu te les prends dans la gueule !!!

 

Un Jury-maison détermine ensuite le gagnant de l'après-midi et lui décerne une timbale en guise de coupe .

C'est symbolique : il faut rendre la timbale . Il n'y a rien à prendre : ni engagement ni argent !!!

 

Freedom qui n'a pas trop bu est partant !!! Morgan , en traînant la patte , suit . Si tu fais de la musique, ça peut séduire , mais qui peut avoir envie de s'entendre dire Corbière ou Néruda ou quelques poèmes écrits par un bohème qui vient de subir une rupture avec une Croate de rencontre ?

 

Morgan se sent d'avance lapidé de semelles comme n'importe quel prophète, d'autant plus que nombre de ses concurrents sont des comiques, ce qui , après quelques chansonnettes , amuse toujours le public !!!

 

 

 

 

 

 

Pendant ce temps ....

 

La caméra quitte nos deux artistes qui se sont assis, plutôt inquiets , au premier rang et observe la porte d'entrée :

 

Deux jolies jeunes femmes apparaissent dans l'embrasure .

 

Elles ne viennent pas voir le spectacle .

 Loriane , la plus séduisante , doit réaliser les décors d'une prochaine pièce de théâtre et vient ptendre connaissance des lieux .

 

Il n'est pas possible de se livrer à cette examen pour l'instant mais le taulier qui a déshabillé du regard les nouvelles venues les considère comme des proies acceptables et , à titre de gratification préliminaire , les nomme jury du jour !!!!

 

 

 

 

 

La manifestation se déroule dans la bonne humeur : les chanteurs charment et les comédiens font rire et les pantoufles tombent , juste pour le fun .

 

Morgan après avoir dit "Portrait de l' Auteur " , "A la musique " et " Rues de Paris " , poème que je lui ai confié,ce qui est tout à fait mon droit ! , s'étonne de ne recevoir au terme  de sa performance aucune babouche et même d'apercevoir de gentils sourires sur certaines bouches !!!

 

 

Lorsque le spectacle est fini, que tous les saltimbanques ont accompli leur tour , le Jury - Loriane et son amie !!! - délibère solennellement à voix feutrée .

 

 

 

C'est lorsque vient le moment de la remise de la dérisoire coupe - la timbale du Tintamarre !!! - que Morgan découvre Loriane : un corps d'odalisque , le visage pur comme celui d'un ange .

 

 

Elle le choisit .

 

 

 

Ensuite , c'est sur cette place tout près de Beaubourg , qu'ils vont tous les quatre , Loriane , Catherine , Freedom et Morgan boire un verre .

 

Le temps est très, très clair .

 

Loriane parle un peu : elle est peintre . Elle est folle de Giacometti et de Bram Van Velde . Elle lit avec passion le journal de Charles JULIET .

Elle aime cet homme qui ne cache rien de sa fragilité, qui lutte, qui se travaille patiemment pour émerger à lui-même et à son oeuvre .

 

Il est fort possible qu'elle identifie Morgan qu'elle ne connaît qu'à travers sa diction à ce Charles Juliet dont il ignore tout .

 

Le soir descend sur les étranges sculptures qui grincent et gazouillent au milieu de la place .

Ils vont se quitter ;

Elle fait un pas , revient et, d'un air déterminé griffonne son numéro de téléphone et lui donne avant de vraiment s'éclipser .

 

 

 

Lorsque les deux hommes , seuls , se dirigent vers la profonde bouche du R.E.R. voisin , Freedom , goguenard et un peu jaloux, sûrement, murmure :

 

" Tu as le ticket avec cette fille"

 

Morgan sourit : c'est effectivement sur un ticket de cinéma que Loriane a noté ses références .

Et d'ailleurs, elle se prend pour Betty BOOP et elle ressemble à Marylin .

 

Si j'écrivais un roman populaire, je dirais certainement que Morgan chasse d' un revers de bras une mouche imaginaire .

 

Cette femme est vraiment très belle et lui se trouve laid . C'est d'ailleurs pour cela qu'il dit des Poèmes relatant les "Amours jaunes" d'un poète breton peu aimable et peu aimé .

 

 

 

Mais ce n'est pas en vain que l'on tente le diable !!!

 

Les jours suivants , il lui semble continuellement que sa propre main ,cette folle,  lui échappe et veut ramper vers le téléphone !

Vite, vite , reprise de la main !!!

 

Surtout éviter le ridicule, la déconvenue : il a déjà sa dose de souffrance .

 

Et puis, un soir, trop tard : il l'a fait ce qu'il ne voulait pas faire !!!

 

La voix résonne douce, dénuée d'hésitation :

oui, oui, elle veut le voir, le voir

 

vite !!!

 

 

 

 

Tout l'été sous le soleil d' Apt, dans le sud de la France , ils font et refont inlassablement l'amour .

 

 

Entre deux assauts, elle lui impose la pose et le dessine sur de grandes feuilles blanches ;

 

Morgan est ému de servir de modèle , lui , l' Artiste .

 

Il aime être l'objet de cette Femme .

 

 

 

 

 

 

N'attends pas maintenant que je te dise comment un soir de septembre elle a gommé tous ses croquis .

 

 

Cela n'appartient pas à ce récit .

 

 

 

 

 

 

Dominique    Gabriel        NOURRY



04/08/2011
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