Le bruit de nos pas
C'est la première traduction en français de la romancière israélienne Ronit Matalon. Avant de lire « Le bruit de nos pas », je ne connaissais pas cet écrivain d’origine égyptienne.
En régle générale, je suis plutôt fan des écrivains israéliens classiques (et souvent de culture ashkenaze) : David Grossman, Amos Oz, A.B Yehoshua… et du côté des femmes Zeruya Shalev sont mes auteurs favoris dont je ne rate jamais les dernières parutions.
Mais comme je suis de nature « evaesque » c ‘est à dire assez curieuse, j’aime élargir ma connaissance de cette littérature féconde qui trouve un grand lectorat en Israël mais aussi à l’étranger.
Tellement fructueuse pour un pays jeune d’une petite soixantaine d’années, cette littérature semble ne pas avoir de réelles frontières !
Au delà des lignes de démarcation étriquées, la littérature israélienne reflète des mondes variés à l’image des diasporas juives qui ont essaimées à travers le temps et l’espace pour retrouver en fin de course le point d’ancrage ancestral initial ; un mouillage à la sécurité trompeuse pour se protéger des tempêtes nommées « persécutions » contre un peuple marginal sans terre dans une Terre sainte qui semble parfois vouée au Diable !
Issue et marquée par mes origines juives disparates, parlant hébreu, connaissant assez bien les mythes et pratiques de la civilisation juive, je me fais toujours un plaisir d’explorer avec mon microscope personnel, les us et coutumes de la langue de la Bible remise au goût du jour, au fil des années, des immigrations et des traductions ; une langue ressuscitée (contrairement au Messie !) par de fervents linguistes au début du siècle dernier et encore toujours pénétrée –d’une manière ou d’une autre plus ou moins singulière sous différentes couches- par l’esprit des textes sacrés …
Alors, au début, je suis entrée avec quelques difficultés dans le monde –un peu étouffant- de Ronit Matalon : des juifs égyptiens transplantés -malgré eux- en Israël à la fin des années 1950 ; une famille cabossée adossée à la Mère fragile et toute-puissante…
Mais peu à peu, j’ai pris un certain goût à suivre l’histoire de cette famille orientale.
C’est la benjamine de trois enfants qui raconte ; elle a un regard perçant sans concessions et comme toutes les benjamines (dont je fais partie) des oreilles très fines et, une voix bien à elle et très sensible. Un moment même, fait troublant, j’ai cru entendre mon écho !...
La famille est déclassée et désaxée mais finalement elle forme un tout avec ses propres codes et couleurs comme le roman découpé en chapitre courts et denses.
Le père, un révolutionnaire déçu (une sorte de ‘panthère noire sépharade’ qui luttait à cette époque contre l’establishment ashkénaze et dénonçait les discriminations subies par les juifs israéliens d’origine sépharade) est un éternel absent.
Venu dont on ne sait où, au fil des pages, à deux ou trois reprises, il apparaît dans les friches de ces baraques de déshérités pour disparaître aussitôt.
La mère, femme tragique et magnifique au tempérament volcanique est au centre de cette famille, cellule familiale morcelée.
Elle parle arabe et hébreu, fait des ménages ici et là, brique sa maison, surveille d’un œil malicieux et sauvage son petit monde et laisse toujours sur la cuisinière une marmite remplie et odorante que les chats d’ici et d’ailleurs s’empressent de renverser.
J’ai aimé sa manière à elle de faire du lien, de créer du vivre ensemble entre elle, ses enfants, son entourage proche. J’ai aimé sa manière souvent folle, excessive parfois maladroite de combattre la mélancolie de l'exil et de la pauvreté avec l'énergie du désespoir...
La Terre sainte ne nous prémunit pas du désespoir quand on y vit. Surtout quand on est pauvre, déclassé, venu d’un pays arabe aujourd’hui ennemi, qu’on a tout perdu et qu’on a toujours la guerre comme horizon.
Je ne connais pas vraiment les options politiques de Ronit Matalon. Je sais plus ou moins qu’elles sont courageuses et pacifistes.
D’une écriture élégante, exigeante parfois d’une précision qui tourne à l’obsession, Ronit Matalon sait décrire l’exil juif-arabe en Israël, sujet encore peu abordé dans la littérature israélienne.
Et je m’éloigne à petit pas …
Hadas-Lebel Eva
Le bruit de nos pas / Matalon, Ronit , . - Paris : Stock, 2012 (La cosmopolite) .