D'ici Dance

LE CHAT DU VOYAGE

 

 

 

En ce temps-là, je n'étais pas encore en mon adolescence. Je n'avais qu'une douzaine d'années et j'étais en 6e au Lycée Chateaubriand, à Rennes. Ce Lycée, parmi ses honorables élèves, avait compté ALFRED JARRY, le génial Auteur d' "UBU Roi". Le personnage du chef tyrannique, caricature d'un Professeur détesté, sera toujours d'actualité, ici ou là. Dieu merci, il rencontrera souvent en face de lui des émules d'EMILE ZOLA dont la grande Voix résonne encore sous les voûtes de ce lieu historique. A l'époque, je ne connaissais guère ces Ecrivains Français et la Culture Bretonne, totalement méprisés, n'était jamais, si peu que ce soit, abordée. Je me contentais donc de quelques Latins qui m'enthousiasmaient modérément: j'ai toujours été un Faible en Thème....et ça ne m'a même pas empêché d'être "boutonneux jusqu'à l'extrême".

Tandis que je me rendais sur mon lieu de labeur (ce qui représentait vingt minutes à pied selon mon grand-père, retraité de la S.N.C.F.), je ressassais d'autres soucis, autrement poignants: Valy, mon chien, mon Boxer tigré, venait de mourir! Ma mère, qui était partie, dix ans auparavant, en claquant toutes les portes de ma Vie, lui avait recommandé de veiller sur moi.  Il l'avait fait avec une implacable conscience, montrant les crocs aux Inconnus qui m'approchaient de trop près, menaçant de les déchiqueter sur le champ!

Moi, je pouvais me livrer à toutes les taquineries que je voulais sur ce Fauve. Avec moi seul, il se montrait suave et tendre. Nous passions de longues heures blottis l'un contre l'autre près de la cuisinière au charbon. Notre Amour était un Amour d'avant le Langage. Il exilait tous les Adultes. Il était notre Territoire à nous deux.

Mort! Il était mort! Avec lui, c'est ma Mère, elle-même, qui s'enfonçait un  peu plus dans la Terre. Seul! J'étais seul! Qu'allais-je devenir seul? 

J'en était là de mes sombres ruminations lorsque j'aperçus, sur la vitrine du Boulanger, cette alléchante annonce: "Chatons à donner". Je me promis de voir ça au retour, après quelques heures d'intensive culture.

Et ce fut exactement ce que je fis! Le boulanger, bon comme de la mie, me donna sans barguigner ce petit être noir et blanc qui s'agitait trop dans sa boite de carton. J'avais bien peur qu'il ne s'évade!

Qui fut bien surprise en nous voyant arriver, ce petit être folâtre et moi? Ma Grand-Mère, la Maîtresse de Maison qui venait de récupérer, le chien "parti", la jouissance de ses parquets cirés. Elle hurla:

"Veux-tu bien sortir de là, avec cette saleté!"

C'est à peu près ce qu'elle me dit plus tard lorsqu'elle découvrit mon cahier couvert de Poèmes! Le Peuple, certes, est généreux, mais il a de ces faiblesses....

 

Nous voici donc seuls sur le trottoir, le Frénétique et moi! Désemparés comme après un chagrin d'Amour! Que faire? Où aller? Je pris le parti de m'éloigner de ce quartier trop convenable et d'emporter Ailleurs mon Butin.

Ailleurs? C'était juste au bout de la rue. La zone pavillonnaire, acquisition récente de laborieux ouvriers, s'éclaircissait très vite, laissant apparaître quelques terrains vagues, abandonnés de tous, puis un VRAI bidonville. Les classes dangereuses n'étaient pas loin et, parfois,elles envoyaient mendier, de porte à porte, de louches émissaires. Ce n'est pas sans crainte qu'on les accueillait. N'avaient-ils pas, outre leur saleté, l'arrogance de jeter dans le caniveau le quignon de pain qu'on avait, parfois, bien voulu leur accorder?

Encore enfant, toujours insouciant, je me mis à longer les flaques boueuses et les baraques en "taules". Bientôt, j'aperçus, tranquillement assise sur une chaise dépenaillée, une petite fille noiraude, en jupe longue, tout à fait assortie à son siège. Elle me fit, tout de suite, très bonne impression. Je ne lui demandais ni son prénom, ni ses origines, ni son curriculum vitae. Tout de suite, je posai la question centrale:

"Veux-tu bien me garder mon chat?"

Elle souleva délicatement le couvercle en carton pour observer le candidat à cette enviable situation. L'ayant vu, tout de suite elle acquiesça. Quel bonheur!

"Et je pourrai venir le voir quand je voudrai?"

Un  signe de tête: c'était gagné. J'avais le Droit de Visite, comme mon Père, somme toute, qui de Paris, deux fois l'an, venait à Rennes pour me voir, les bras chargés de cadeaux pour se faire pardonner.

 

Plus fidèle que lui, je vins toutes les semaines voir mon Amie et mon chat.

Et puis un jour, sans crier gare, ils disparurent. Faisaient-ils, tous deux, à présent partie de ce "gens du voyage" qui, mystérieusement, retiennent quelque chose de nos rêves aux confins des villes?

 

 

 

 

Dominique Gabiel   NOURRY



31/08/2010
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