LE POINT AVEUGLE ( mai 1995 ) Premières lignes...
" Les chants désespérés sont les chants les plus beaux " ( Alfred de MUSSET )
" L' essentiel est invisible " ( Antoine de SAINT-EXUPERY )
Elle , cette boule de nuit pure jetée dans la neige du présent - mais sait-on combien la neige est éphèmère - elle , sans visage au milieu des grimaces éparses qui se décomposent , elle , sans voix dans l' errance des murmures abstraits .
Elle vit dans l' esquisse d' un geste , dans un essai de sourire , dans la colère même .
Je n' aurais pas voulu mêler mes mots à ses sillages . Les lignes seront certainement trop sûres , trop appuyées , trop définies .
J' ai tout d' abord eu cette peur : la posséder .
D' un rien : d' un regard , d' une phrase , d' un accord .
J' aurais voulu lui laisser sa pulsation propre . Peu d' êtres s' appartiennent autant qu' elle .
C'est l' ineffable "privilège" de la douleur , de la profonde douleur qu' elle n' éprouve pas , qu' elle n' habite pas -qu' elle est .
Mais il est trop tard . Puisqu' elle se donne , puisqu' on l' a convaincue de se donner , puisque dans l' offrande elle se perd , il faut que j' aie mon mot à dire .
Mon mot à la dire , ça devient devoir . Faute de quoi ne resterait que de l' imaginaire et , moi-même , je ne serais plus qu' image .
Juste un cliché dans sa vie , sur sa table de nuit , froissé -qui sait- dans les draps comme s' il ne s' agissait que de cela .
De quoi s' agit-il , au juste ? Je me dois de le dire dans l' agitation , dans le gîte .
Qu' on sache pourtant - et ce sera mon ultime avertissement - qu' elle n' y est pas .
Qu' elle n' y était pas , je l' ai toujours su . mais il en est qu' angoisse l' absence de cadre du miroir .
Il en est qu' angoisse , sans doute , la liberté qu' elle est . Cette liberté qui nous rendait l' un à l' autre , l' un pour l' autre , qui nous suscitait l' un de l' autre .
Alors , que faire ?
du point aveugle , puisqu' il le faut , dans le risque et l' inquiétude , j' improvise . Bien sûr , je sais combien je suis mal placé pour me poser là . Pas de profond fauteuil ou de large bureau , pas de raison sociale .
Ca fera du conte et non de l' apparition , ce qui se porte mal , ces temps-ci .
Compte d' auteur ? Pourquoi pas si c' est le prix à payer pour tout dire . De ce qui peut se dire . Car je garde -voyez-vous- la révérence des ombres .
Mais ce n' est pas rien , cette absence que j' annonce et qui fera poids . Du moins , j' en prends la responsabilité . Aux uns la petite musique ( " ça n' est rien , ça fera juste un peu mal " ) , aux autres , le grand silence .
Tout gratuit . Rien d' intéressé .
Même pas de l' intérêt .
c'est plus simple : nous en procédons . C' est le procès . Qu' on nous a fait . Qui nous a faits .
Qu' un jour ou l' autre , nous ferons .
Je n' écris pas ça n' imprte où . n' importe comment , mais sur un carnet , vigoureusement cartonné , que ma fille m' a rapporté d' Allemagne .
Cadeau .
J' oublie souvent les cadeaux .
Qu' est-ce que ça veut dire ça ?
Rien .
Sur le carnet , pas de lignes . Ca me gêne peut-être ce manque de repère dans le vertical .
Et si je tombais de la page..... Ou si j' y tombais tout entier ...... Si j' y tombais lorqu'il s' agit de nous délivrer ?
Dominique Gabriel NOURR