LES OMBRES DE BUDAPEST
A Patrick Modiano
Le 19 juillet 2010
Comme dans toutes les cités, c'est au bord des fontaines que se recueillent les jeunes filles. Lorsque vient le soir, elles s'assemblent rêveusement et conversent. Parfois, aussi, elles se taisent et c'est alors, au coeur même de la pierre, que s'éveille la blessure. Aux lisières des avenues, surgis des pans d'ombre, des cris étouffés ensorcellent la nuit.
Qui ne sait secrètement qu'une longue cicatrice meurtrit la ville? Le Danube charrie des flots coupants et nul ne saurait se pencher vers son reflet sans perdre quelque chose de sa raison.
Nous avons longuement parcouru l'ancien ghetto. Pas âme qui vive. C'est jour de deuil aujour'hui. Les Juifs se sont enfermés pour prier.
C'est donc dans les rues anciennes de l'Europe, ponctuées de succursales multinationales, que nous avons erré. Ce n'est pas facile de s'abandonner dans la candeur des sites quand tant d'ombres appellent.
Dans quels pas, dis-moi, dans quels pas avons-nous posé nos pas? De quelles voix avons-nous dû répondre?
Chaque cliché pris se révèle imprécis. Nous sommes de piètres touristes. Là même où nous l'éludons s'instaure la distance. Et le poème dans la plus parfaite harmonie agencé brusquement se disloque en un cri.
Dominique Gabriel NOURRY
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