LIBE SANS ETATS D'AME
Tous les pays qui n'ont plus de légende
Seront condamnés à mourir de froid....
PATRICE DE LA TOUR DU PIN: "Prélude" in "La quête de joie" N.R.F.
"Un film qui s'appelle "Poésie", ça fout forcément "les jetons", déclarait, à peu près, la première phrase d'un journaliste de Libération commentant le film "Poetry". Très certainement, il exhibe ainsi son talent très sûr de la traduction et je m'en extasie. Lorsque je me remets de ce premier choc esthétique, je ne peux m'empêcher de penser que cet énoncé, dans cette élégance dont se réclament également signifiant et signifié, relève bien, au niveau culturel de ce POPULISME que mon journal -pourtant péféré- se plaît à dénoncer bruyamment chez ses adversaires de Droite. BARTHES, promoteur, hélas! du DEGRE ZORRO, mais aussi génial analyste de nos "Mythologies", aurait, sans doute, parlé de "poujadisme"! Pour un journal de gauche, c'est plutôt lamentable! Et je me lamente! Je suis prêt à concéder que la suite de l'article est plus honorable. N'empêche: le mal est fait! L' "accroche", dans son rôle de fille de joie, a bien su séduire le lecteur et le conforter dans ses pires préjugés.
Faut-il rappeler que Desnos fut, A LA FOIS, journaliste et l'un des derniers poètes de son temps? Il n'est pas utile, lorqu'on gagne sa croûte dans une gazette de laisser sa sensibilité aux vestiaires -si l'on s'en trouve pourvu! et de flatter la vulgarité et les bas instincts de ses lecteurs! Inutile de se vanter de faire du "chiffre" en s'asservissant aux "tendances", même lorsqu'elles sont franchement régressives. Est-ce digne d'un journal, souvent très pertinent, autrefois soutenu par Sarte?
Dans le même temps, sous le titre "La solitude de l'agnostique en terre d'Islam", je découvre, dans "Courrier International", un article de MANSOUR NOUGAYDAN publié dans le journal de Ryad: "Al-Riyadh". Je cite (avec admiration!): "Celui qui se met à douter ressemble à un amoureux éconduit. Il se languit des certitudes et de la tranquillité d'esprit que lui garantissait sa foi passée." Suit une référence , précise et tout à fait justifiée, à Cioran! Je vous le demande: où se trouvent à présent la "civilisation" et la poésie? . Nous avons des media de plus en plus sophistiqués mais nous n'émettons plus que des borborygmes! Quel gâchis! "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" Qui ne sait cela? Qui définit, en fontion de cette sagesse, notre ligne de vie? Les politiques? Les journalistes? C'est l'objet de leur savoir, de leur devoir, de leur pouvoir, mais, fascinés par le succès facile, ils désertent! Pire: eux-même, à force de démagogie, finissent par "perdre conscience"!
Du temps de ma prime jeunesse, à la radio, à la TV, on pouvait découvrir "Le club des poètes" de Jean-Pierre Rosnay. Quel émerveillement! Moi, l'enfant du peuple, fan de "Salut les copains", j'enregistrais sur mon petit magnétophone de très troublants poèmes dits par des comédiens d'un grand talent et je les écoutais en boucle, nuit et jour, comme des tubes! Quel enseignement! Il complétait à merveille la parole des excellents professeurs de Lettres qui m'éveillaient au collège.
A présent les programmes de "Français" imposent un vieux structuralisme rébarbatif . La TV et la radio ont chassé de leurs cités virtuelles les poètes, beaucoup trop dangereux, peut-être. Lorsque Jean-Pierre ROSNAY, dont l'oeuvre et l'action furent si salutaires, s'est éteint, récemment, qui en a parlé? Nous aussi, nous avons nos goulags, savez-vous? Leurs murs épais sont tissés de silence. De ce silence ceux qui ont la parole sont comptables. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre, lorsque nous serons las de leurs "questions d'actualité", ils en répondent. L'actualité, voyez-vous?, c'est l'éternité! C'est le "sujet", la raison d'être de la Poésie.
Encore un souvenir: j'ai quinze ans. Je fais du stop sous la pluie. Je tente de rejoindre une lointaine jeune fille que j'aime et que je ne trouverai pas. Les voitures ne s'arrêtent pas. Je suis trempé . Je tiens à la main le journal "Le Monde". En cette époque bénie, Le Monde" publie des poèmes". Je lis:
"O vous
jeunes et beaux
empétrés dans vos livres
si je ne me suins pas tué
c'est que je ne me suis pas donné la vie
et que j'aime eencore quelqu'un
et que je m'aime
moi"
et aussi:
"Etre poète et être un homme signifie
être forêt sans arbre
et voir"
Ces vers ont été écrits par un poète d'un pays de l'Est, alors communiste. Je n'ai pas retenu son nom. J'ai jeté le journal trop humide, et puis, contre toute attente, j'ai survécu, j'ai continué à marcher sous la pluie battante jusqu'ici. Jamais de parapluie: c'est une question de principe!
(Et pendant ce temps, notre "journal de référence" ,devenu totalement " prosaïque" , sans coeur et sans esprit, plus jamais ne danse et sombre, sous le masque de l' "objectivité" dans la plus servile idéologie!)
Ici, c'est le grand soleil qui sort des nuages. Les jeunes affluent au "Club des poètes" où les accueillent Blaise et "Tsou l'Egyptienne". Les scènes slam se multiplient. Elles proclament à la suite de Lautréamont: "La poésie doit être faite par tous"! Dans le silence méprisant, assourdissant des media et de ces quelques momies dérisoires qui ont cru représenter la poésie, garder le Temple, dans certains milieux protégés.
"Les temps changent", pourtant, comme le proclamait autrefois le vieux DYLAN, ami des poètes de la Beat Generation. Nous ne resterons pas plus longtemps les "sex toys" des technocrates! Le Progrès nous a offert le net! On va en profiter! "Que cent fleurs s'épanouuissent" ,comme le préconisait un vieux poète malheureusement égaré en politique... Et tant pis pour le vieux monde! Et tant pis pour tout ces media sans ETATS D'AME!
Dominique Gabriel NOURRY
C'est à mon ami ARMAND, cet essentiel poète, aujourd'hui dans la douleur sur son lit d'hôpital, dans un terrible sentiment d'exil et d'esseulement, que je dédie ces lignes en échange de ces précieuses aquarelles qu'il m'a offertes. Je ne sais pas faire de miracles, hélas!, mais DE TOUT MON COEUR je l'accompagne....