D'ici Dance

LIGNE DE FUITE (1976) -2

"Ecoute, René, supposons pour voir, par une opération chirurgicale ou bien une inoculation, que l'on puisse accroître la vie moyenne, le temps de vie, je veux dire, de quarante ans, mais attention, hein, c'est là que ça devient sérieux, à la condition, à la condition qu'une mort immédiate,(elle tire un coup sur sa voltigeante gitane) menacera le quart des individus traités. Qui se chargera, demande l'auteur, Monsieur Marcel Boll, en y invitant quatre mille habitants robustes et bien portants d'une même commune, de commander pour le lendemain mille cercueils ? "

La suite de son discours se perd dans les cris de joie, le bruissement des serpentins que lui lancent les passants attroupés, le tintamarre lointain d'une fusillade au milieu des rizières.

Deux personnages , déguisés en guerilleros, apportent l'enseigne d'un restaurant russe qu'ils déposent à gauche, au bord de la scène inondée.

 

 

 

"Morgan

-Oui

-Tu entres, suivi de René, dans le restaurant....Voilà...Non, tu n'observes pas la salle ni les gens attablés.

Tu t'en fous.....

-Je comprends....Je ne vois qu'elle déjà....

-Pas du tout. Elle, tu ne la vois pas. Tu te dis peut-être que c'est la nana d'un des mecs qui se trouve là. Les nanas des autres, tu les ignores."

Laure : "Dites, les mecs, vous allez longtemps parler de cette nana comme d'un objet qui serait la propriété d'un homme ? "

"Bon, Morgan, tu t'asseois. Tu demandes, voyant la table pleine des débris d'un repas, :

"VOUS vous AVEZ avez TERMINE terminé OU ou VOUS vous N'AVEZ n'avez PAS pas COMMENCE commencé LE le REPAS repas ? Je suis un peu en retard. Le bus n'arrivait pas. C'est à cause d'un accident. Une voiture de sport, toute ratatinée. J'adore voir ça, ces conneries ambulantes,polluantes et pétaradantes bousillées....Surtout qu'il n'y avait pas de blessé....."

 

 

 

Nous sommes Morgan. Nous sommes assis dans un grand fauteuil rouge. Nous lisons un récit auquel nous pourrions éventuellement nous identifier. Mais nous nous regardons être Morgan en train de lire, Morgan qui se demande, question dérisoire, s'il ne devient pas fou, si ce qu'il appelle amour est bien amour, tandis qu'autour de lui marchent doucement  des femmes aux cheveux flous, vêtues de longues robes blanches.

Un abîme déchire le récit où tombe le sens, le bon sens. / Les bombardiers géants luisent dans le ciel. De folles explosions ravinent la vallée. Des enfants hurlent. Des femmes en flammes sortent des maisons. Des cris horribles montent de la terre.// Il y a le bruit d'une école lointaine, il y a le bruit du vent autour de l'enfance, autour d'une tombe dans un cimetière de campagne, il y a le visage aperçu en rêve d'une morte, il y a de la mort dans le rêve.//

"Cette blessure que l'on voudrait voir se fermer. "

 

 

 

Un récit ne s'écrit pas dans le vide mais dans le temps. Voilà ce que trop souvent l'on oublie. Entre l'heure de la sortie de la marquise (Elle est allée à l'épicerie du coin s'acheter des pruneaux) et celle de son retour,  un mois s'est écoulé, un mois de chants d'oiseaux, de cris et de rires d'enfants, , un mois, qui sait ?, de deuils inoubliables et d'amours fous. Et puis.....

Et puisrien. Pas une trace, pas un signe. La fiction poursuit son petit bonhomme de chemin.

Le narrateur ne craint rien. Il est dans le texte comme un poisson dans l'eau. Il se laisse glisser dans le courant du récit en sifflotant.

Heureux narrateur....Que ne peut-il, lui l'auteur, aussi impersonnel que le sujet de la proposition : "Il pleut", échanger contre la tienne sa morne existence....

 

 

 

"Le roman, au sens moderne du mot, présuppose une réalité déjà devenue prosaïque et sur le terrain de laquelle il cherche, pour autant que cet état prosaïque du monde le permet, à restituer aux évènements, ainsi qu'aux individus et à leurs destinées, la poésie dont la réalité les a dépouillés".

G. W. H.  HEGEL

 

Mon amour, j'hésite à sortir de ce restaurant où je t'ai rencontrée. Lorsque nous marcherons tout à l'heure dans la rue, lorsque tu auras cessée de m'être indifférente, je ne saurai plus t'appeler "mon amour".

Je te dois cette vérité.

Tu n'es qu'un des visages de ma névrose.

Ma névrose ici je l'institue prétexte.

Je cherche mes mots pour le dire.

Les mots pour te dire.

Pour te nommer Maria.

Je t'en prie, je ne te connais pas encore,  ne souris pas pour me tendre la bouteille de vin.

Ne me rends pas ce sourire si tendre que je t'ai adressé.

Ce sentiment qui m'envahit.

C'est ce que j'appelle

LA m é l a n c o n n e r i e .

 

 

 

Nous sommes dans la rue. Il fait très chaud. Bientôt vont crépiter dans la nuit les premiers feux de la Saint Jean. Les filles, belles comme le jour le plus long de l'année, croisées, frôlées, froissées, bousculées, le font bander. Il se passe alors quelque chose d'incroyable . Maria se met à courir. Elle se perd dans la foule. Morgan est seul. Le narrateur qui n'a rien perdu de ses dons d'ubiquité s'arrangera bien, plus tard, pour les réunir.

 

Les amours qui s'embrasent d'un coup de foudre durent souvent le temps d'un feu de paille. Il vaut mieux, me disait ma mère, épouser une femme tendre et fidèle, pas trop jolie, pas trop jalouse, qui te rende heureux.

Deux jours plus tard, elle affirmait le contraire.

Ma mère avait de longs cheveux noirs, bouclés, un visage rose, une peau satinée, des lèvres sensuelles qui trahissaient un violent amour de la vie, une voix claire, claire. Je ne la quittais jamais. Mes doigts bleus d'hiver agrippaient désespérément un pan de son manteau de fourrure. Un jour, pourtant, dans la foule d'une fête foraine, je l'ai perdue.

Je ne l'ai jamais revue.

 

 

 

S'il y a quelque chose de fou dans ce récit, je ne l'ai pas choisi. J'ai cru prendre la vie comme elle venait. Mais c'est elle qui m'a pris. Un jour on m'a laissé dans la grande roue et depuis je tourne.

 

Les cris du texte ne sont que lettres imprévues.

glfybftjnvh.....

Et après ?

 

Il y a quelque chose entre les lignes qui hurle, une intenable angoisse.

Mon angoisse, ça vous fera de la lecture, un soir.

Après le journal, ses atroces nouvelles. Avant cet extraordinaire film de Buñuel que vous irez voir avec votre ami(e) à Saint-Germain.

 

 

 

Robert, dans la rue, papillonne de fille en fille. Je le suishébété. Micheline que j'ai rencontrée hier chez des amis marche à mes côtés. Je lui parle de Georges Bataille ou de Léo Ferré. Quelle importance ? Nous marchons dans la rue lourde d'été. Les grands yeux verts de ma compagne ont définitivement capté les miens. Je me laisse glisser dans la mélodie de ce café où nous irons tout à l'heure nous asseoir.

Morgan, assis au comptoir, n'apercevra même pas ce couple un peu désespéré et commandera entre deux Ricards un quart Ricqules.

Micheline change chaque jour de visage et de nom.

C'est la narratrice.

Elle est assise au pied d'un calvaire breton et converse avec un vieux moine qui fut autrefois surréaliste.  Tout à l'heure, une femme qu'elle n'est pas, me tendra ses lèvres.

Elle échappe au récit. Elle me fait verbe et me conjugue. Nos étoiles coïncidées me font été. Je pleure de n'avoir su la rendre heureuse, malgré tant d'amour, d'être si malheureux.

Un jour, dans la commune de Fourier, j'emplirai ta robe des plus beaux fruits du verger et nous rirons de nos larmes.

Cet absurde désespoir ne peut être réel, puisque je t'aime, puisque tu m'aimes.

 

 

 

Morgan rit dans son ivresse. Il caresse un jeune homme qui lui ressemble. Jaloux, un voyou beau comme Rimbaud a sorti son cran d'arrêt et le menace. Une longue percée crève le coeur d'un personnage. Un brouillard d'encre rouge enflamme le récit.

Le cadavre désarticulé du Pierrot qui racontait des histoires aux enfants gît sur le trottoir.

Un corps déchiqueté sous le métro. Des lambeaux de chair font luire les rails.

La mer aumatin jeta sur le sable inviolé la dépouille gonflée d'eau d'un poète.

 

 

 

Dominique  Gabriel    NOURRY

 

 

 

A suivre.....

 

 



09/11/2010
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