LIGNE DE FUITE (1976) -4
-Que vôtre rôman,Môssieu Môrgan, est décousu....
C'est bien de cela qu'il s'agirait. Vous avez pour vous le lisse du regard, le clair de la mémoire, le lustré de vos bibliothèques. Vous savez d'un clin d'oeil découvrir la trame de l'intrigue, tirer d'un coup sec sur le bout de laine qui vous déconstruit prestement la chaussette romanesque.
De vos jolies histoires, de vos drames existentiels, de vos métaphysiques de poche, de vos métaphores à défiler, j'en ai vraiment, vraiment rien à foutre.....
J'écris pour crier, j'écris comme on chie, comme on gueule, comme on dégueule. J'écris pour en découdre.
Monsieur l'Inspecteur du Second Degré, ne cherche pas, vieux con, dans ces éclats de vie, ta chère construction en abyme.....
A pus construction : je détruis.
A pus abyme. j'abîme, je fais abîme.
T'as compris, vieux sac à idées reçues ?
D'ailleurs, si on me demande : "Vous écrivez ? ", je réponds : "non".
Je n'écris pas. Je ne me livre pas à cette activité qui s'appelle écrire.
Je n'ai rien à réciter, rien à déclamer.
Ma vie, quelques heures, se fraierait dans l'écrit.
Je n'écris pas.
Je respire, je digère, je vis, j'aime, je déteste, je vois, j'entends, je sens, je touche.
J'ai envie de faire l'amour avec la moitié des femmes que je rencontre, j'ai envie, parfois, de caresser un homme, j'ai envie de blesser ceux qui me blessent, d'aimer ceux qui m'aiment et puis de blesser ceux qui m'aiment , d'aimer ceuxqui me blessent quand tout se casse, tout se détraque et que j'ai peur, lorsqu'il fait sombre, lorsqu'on a refusé mon sourire, lorsqu'on m'a humilié, , lorsque......
Un court-circuit. La salle de spectacle est plongée dans l'obscurité. L'acteur, quelque part dans la nuit, poursuit son interminable tirade, d'une voix de plus en plus angoissée.
Chacun sait que la lumière ne reviendra jamais, qu'il n'est pas question d'en sortir : c'est écrit dans le programme.
Mais elle, Ondine, n'en sait rien. Elle ne lit jamais les programmes. Elle nelit jamais rien. Alors, sans quitter son strapontin, elle se met à parler, tranquillement. Elle ne dit rien d'extraordinaire. Elle dit n'importe quoi.
Une abeille, ce matin, s'est posée sur sa tartine de confiture et elle n'a pas essayé de la chasser. Les abeilles, c'est joli.
Hier soir, c'est vrai, elle a eu l'envie de faire l'amour avec ce garçon, mais aujourd'hui, elle n'a pas envie de le voir et lui l'appelle, l'appelle. Ce n'est pas très important. Elle est assise sur un banc du parc. Il fait beau. Elle a une jolie robe. Les autres se croient dans un théâtre. Ils croient qu'il fait noir. Un mec, sur une scène pourrie, dit des vers. Quand la pièce sera finie, il recommencera. Il sait bien son rôle. Il n'a pas le trac. Il n'a pas de trou. Il met le ton. Il a l'air de sentir ce qu'il dit. Dans sa tête, pourtant, il ne cesse de contempler un morceau de brioche moiie sur une table sale et dans un lit, jauni, une vieille femme morte, un chapelet dans les doigts.
Dominique Gabriel NOURRY
A suivre........