MIETTES
En souvenir de NADIA, Princesse de la Bohème
Le temps nous emporte
le temps nous emporte
comme les miettes au de l'évier
juste après le petit déjeuner
c'est juste ça
que je voulais te dire
quand on s'est quittés
tout à l'heure
le temps nous emporte
et de nos espoirs
c'est pas grand chose
qu'il restera
c'est pas grand chose
le rien nous dévore
comme poussière
dans l'aspirateur
le samedi après-midi
quand on croit qu'on s'en sort
d'une semaine abrutie
de travail
inutile
je te dis ça comme ça
je te dis ça comme ça
parce qu'il pleut sur partout
ça fait longtemps que les tours
de la cité
ne riment plus avec "amour"
ça fait longtemps que les roses
sont brûlées d'acide
ça fait longtemps tout ça
d'ailleurs j'ai jamais vu de rosiers
sur ces parkings désossés
jamais tu ne retrouveras
la pièce que tu as laissée
pour emprunter
le caddie de la jeunesse
la vie c'est comme une voiture volée
qui s'écrase un jour ou l'autre
contre un mur mal éclairé
c'est pour ça que je te laisse partir
pour que tu me fasses encore
des souvenirs
quand je serai dans le coltar
d'un hôpital de nuit
à ruminer des idées noires
avant de m'en aller crever
je veux que tu saches
je ne t'ai jamais rien demandé
nous avons marché sur le même trottoir
le temps d'une éclaircie
qui donc t'avait raconté
que c'est avec des "toujours"
qu'on imagine la vie
je crois qu'on s'est gourrés
mon pauvre amour
le temps nous emporte nous
nos mélancolies nos illusions
comme des miiettes dans l'évier
juste après le petit déjeuner
c'est sûr que plus jamais personne
n'aura ce regard
qu'un rien étonne
c'est fou ce qu'on était cons
tous deux
dans le hall de cette gare
comme deux vieux amoureux
drôles de poteaux
que jamais Doisneau
n'aurait pris pour des moineaux
qu'est-ce qui nous a pris de vieillir
qu'est-ce qui nous a pris de nous aigrir
et de charger du poids des années
nos reproches muets
le temps nous emporte
le temps nous emporte
c'est pas Rutebeuf
qui fait claquer les portes
c'est pas Verlaine
qui beugle sa chanson vaine
tout est informatique
tout est cybernétique
ça n'empêche pas d'avoir
au fond des poches
le poids des billes
qu'on n'a jamais su jouer
quelle importance d'ailleurs
qu'on perde ou qu'on gagne
on meurt
le temps nous emporte
le temps nous emporte
comme les miettes
au fond de l'évier
juste après le petit déjeuner
et la vie continue
dans les parcs et les rues
comme si je ne t'avais
jamais
connue.
Dominique Gabriel NOURRY