PAUL VIRILIO : UN PROPHETE EN SOUFFRANCE
"Evitons ces chemins. -Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l'humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair
On n'entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu ;
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute,
Les rires du passant, les retards de l'essieu,
Les détours imprévues des pentes variées,
Un ami rencontré, les heures oubliées,
L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.
ALFRED DE VIGNY : "La maison du berger" in "Les Destinées" (1844)
Au début de l'ère industrielle, le poète Romantique ALFRED DE VIGNY s'inquiétait dans ses "Destinées" de l'étrange vertige qu'allaient susciter les premiers chemins de fer. L'Homme avait-il été créé pour se déplacer à pareille vitesse ?
C'est très exactement la problématique que soulève l'urbaniste Chrétien PAUL VIRILIO confronté à l'accélération générale qui se coule même, par le biais du virtuel, dans l'instantanéité.
J'ai un peu de mal à m'identifier à lui. Il me semble que ce monde-là dont les fenêtre donnent sur tous les autres mondes de la Planète à toujours été le mien !
Communiquer, même superficiellement, avec tant d'amis, moi, ça me ravit. Avais-je plus ou moins l'impression de perdre mon temps quand j'entamais un brin de conversation avec les commerçants ou les amis sur le chemin de la boulangerie dans Saint Malo ?
Je constate d'ailleurs, de plus en plus, que les sentiers du net, lorsqu'on habite Paris, débouchent souvent sur le Réel !
Je n'ignore pas que nombre de manifestations auxquelles je participe relèvent du divertissement, voire du pur et simple Spectacle !
Du libertinage culturel, en somme !
Et après ?
Parfois, je découvre un être rare, une oeuvre étonnante. C'est beaucoup mieux que de s'endormir devant un petit écran et, comme je dispose de beaucoup de temps "libre", je consacre l'essentiel de ma vie à la lecture, à l'écriture....et à l'Amour !
Je me sais privilégié mais j'ai donné beaucoup de mon existence à la collectivité lorsque j'étais plus jeune.
Je partage l'opinion de PAUL VIRILIO sur certains points: les rythmes que l'on impose aux travailleurs sont insoutenables et cela entraîne des dépressions et des suicides !
C'est absurde ! Certains sont harassés et vont travailler de plus en plus vieux tandis que d'autres sont privés d'activité !
PAUL VIRILIO critique le Surréalisme, mouvement né de la guerre, qui fait l'apologie de la Vitesse. Evidemment, je ne le suis pas. Il est beaucoup trop rapide pour moi !
Ce qu'il affirme du Surréalisme convient beaucoup mieux au Futurisme épris de Technique et de Modernité.
Le Surréalisme, s'il cultive à dessein certains courts-circuits pour élaborer d'étranges collages, ne néglige pourtant ni la rêverie où affleure l'Inconscient ni l'errance propice au Hasard (objectif ou subjectif !)
Le Surréalisme se penche avec amour sur les "peuples premiers" qui dansent sur un tout autre tempo que nous.
Les Surréalistes, c'est vrai ! , croient trop, selon moi au Progrès. Hegeliens ou Marxistes, ils portent trop leurs regards vers des horizons messianiques.
Après guerre, toutefois, ils se tournent plus vers le passé et montrent même -ce qui leur fut évidemment reproché !- un certain goût pour l'ancien Esotérisme.
Epris du point sublime où les contraires cessent d'être perçus comme tels, ils auraient volontiers intégré dans leur groupe et TROTSKY et RENE GUENON, deux personnages tout à fait antinomiques.
Moi aussi !
Alors, relevons-nous de "l'administration de la peur" ?
Nous sommes inquiets, à juste titre, de la montée de plus en plus flagrante de divers racismes, vécus parfois dans la réciprocité par d'inacceptables individus (encore rares, Dieu merci !) et d'un nouvel antisémitisme, égal à lui-même, affublé de nouveaux oripeaux "tendance", marginal mais inquiétant ou irresponsable.
Nous sommes parfois mis trop brutalement en contact avec d'autres civilisations, longtemps nos rivales, qui ne nourrissent pas que de l'Amour à notre égard. De part et d'autre, pourtant, des Hommes, vraiment humains, se lèvent, se regardent et, parfois, s'embrassent.
Les plus lucides d'entre nous ne se laissent pas divertir de la Terreur Nucléaire. Les deux "blocs", produits de la société industrielle somme toute si proches, ne s'affrontent plus mais d'autres dangers sont apparus qui seront peut être plus difficiles à juguler.
Tout cela ne nous empêche pas de constater que nous vivons ici, depuis longtemps, dans une apparence de Paix ! Il s'agit d'une séquence rare et précieuse dans notre Histoire, dont nous jouissons, mais qui ne nous empêche pas de nous soucier des peuples, nombreux, qui sont en souffrance.
Je suis beaucoup moins pessimiste que notre philosophe des villes et des champs. Il est, comme beaucoup de nos Intellectuels (et moi-même !) déjà âgé. Peut-être sinquiète-t-il, malgré sa foi, plus qu'il ne l'imagine de sa propre fin qu'il travestit en Apocalypse.
Il fait partie de ces élites qu'une prise de parole populaire (qu'on a vite fait de qualifier de "populiste") déstabilise. C'est 68, revenu de la Sorbonne, qui s'intalle dans nos pages et nos mots font enfin l'Amour !
Et puis....
La révolution du virtuel est bouleversante comme le furent la découverte de l'imprimerie et la diffusion de l'Encyclopédie.
Et moi, j'aime être bouleversé, même si mes peurs, somme toute si peu administrées !, parfois me submergent ....
Dominique Gabriel NOURRY
PAUL VIRILIO : "L'administration de la peur"
Cybermonde, la politique du pire"
Textuel
Je voudrais tout de même rendre à VIGNY cette autre strophe du très beau poème romantique : "La maison du berger":
"Eh bien ! que tout circule et que les grandes causes
Sur des ailes de feu lancent des actions,
Pourvu qu'ouverts toujours aux généreuses choses
Les chemins du vendeur servent les passions.
Béni soit le commerce au hardi caducée,
Si l'Amour que tourmente une sombre pensée
Peut franchir en un jour deux grandes nations"
Et pour mieux savourer le tempo de la Société Industrielle que le Poète, homme des "bons usages", sait détourner en notre faveur, il faut absolument relire "La Prose du Transsibérien" de BLAISE CENDRARS.