PRENEZ GARDE A LA JEUNE GARDE!
Ce samdi, je suis à Bourges, chez mon amie Régine. Je participe au colloque: MICHEL HOUELLEBECQ. Mon intervention s'intitule: "L'ontologie du préservatif dans"Extension du domaine de la lutte" ". Je l'ai lue et relue. Ca se ressasse, ça me lasse.
Fatigué de moi-même, je m'assieds par terre, sur la moquelle pour parcourir l"Annuaire des Idées". Ce volume, que j'ai consulté par pure curiosité, se révèle d'un redoutable intérêt. Je croyais picorer, de ci, de là, quelques articles, et puis, voilà !, je suis complètement absorbé!
Pour l'instant, je réfléchis au stimulant débat qui oppose BENBASSA à ROUDINESCO : faut-il ou non soutenir GEISSER, un chercheur qui fait l'Apologie de l'Islamisme au sein du C.N.R.S. ? D'abord, je pense non: il faut défendre les valeurs des Lumières. Puis, tout bien pesé, oui: je suis un inconditionnel de la Liberté d'Expression.
Ma réflexion se poursuit, peut encore évoluer, se renverser. Je n'ai pas de ligne politique. J'évite les idées reçues (tout en n'ignorant pas leur caractère insidieux!) Je me fie, tout en étant conscient de leurs limites à ma culture, ma sensibilité et ma raison.
Mais je suis interrompu. Comme un diable en furie, le fils de la maison, Benoit, 25 ans, toujours chez sa maman, fait intrusion dans la pièce. Je suis inquiet. Je sens que souffle un vent de rébellion et que j'en ferai les frais ! Normal : les hommes de ma génération ont tous en tête l'image de JAMES DEAN dans "La fureur de vivre" . La guerre des générations, le meurtre du père, tout cela fait partie, depuis longtemps, de notre panoplie référentielle. A quelle remise en cause humaine, affective, idéologique ou politique dois-je m'attendre ? Quelle clémence attendre du tribunal populaire de la Jeune Garde ?
Je sens que mon compte est bon ! Je tremble en attendant l'acte d'accusation......
Benoit, hors de lui, crache le morceau:
"Tu as encore mouillé le Tapis de Bain !"
Je suis blême, je suis pris sur le fait et fait comme un rat !
Vais-je lui expliquer que les Tapis de Bain qui accueillent les pieds du baigneur et protègent le sol, tout comme les lavabos, les serviettes et les éponges, sont fréquemment amenés à supporter une certaine humidité ?
Cela me paraît tellement grotesque que je le prie de ne plus m'entretenir de ses problèmes matériels.
Il argumente avec véhémence: lorsque le Tapis de Bain est mouillé, les trois chats, sans doute par sympathie, urinent dessus. De plus l'eau s'infiltre lentement et sournoisement et, d'ici une vingtaine d'années, le voisin de l'étage inférieur protestera et il faudra appeler un plombier. Et qui paiera, alors ? Qui ?
Je l'assure que j'assumerai les frais dûs à mon inconséquence. Mais il n'est pas convaincu . Je serai peut-être mort. J'aurai peut-être disparu dans les remous de la Capitale où je vis. Et lui, l'Héritier, en sera pour ses frais !
Cette perspective le met en fureur et, quand je l'assure qu'il est décidément matérialiste et prévoyant comme un vulgaire BIDOCHON, il se fait menaçant. Il est capable d'être violent. Toute sa famille peut en témoigner.
"Tu ironises, tu es plein de mépris ! "
Pour me montrer que, même s'il se moque de ma Culture et de ma Philosophie, il a fait quelques études d'Economie dans une école de Commerce, il évoque MARX qui a, paraît-il, concédé qu'on ne pouvait pas échapper au Capitalisme.
Ca me paraît un peu succint comme résumé de la pensée du père du Communisme. Il faudra que j'interroge BADIOU, le dernier spécialiste.
En attendant, très las, je lui rétorque que je n'aime ni MARX ni les Capitalistes.
Il est un peu déboussolé ! Où va-ton ? Il n'y a plus de repères, de références. La boite à outils se trouve démunie ! Même plus de kit de survie ! A qui, à quoi se fier ?
Il hurle, rougit, gesticule et, finalement, sort de la pièce, abasourdi.
Moi, je n'ai plus envie de lire.
Je me sens soudain très las.
Ca doit être l'âge.
Je crois que j'envisage, sérieusement, une bonne sieste.
Dominique Gabriel NOURRY