RIBOULDINGUE CONTRE CELINE
Sur un banc de ma station de métro, place de Clichy, un clochard, visiblement dément, déblatère. On ne comprend pas trop ce qu'il raconte. C'est confus. De temps en temps, il articule, plein de haine, le mot "youpin". C'est tout ce que je saisis. Je n'ai nulle envie de m'attarder devant ce lamentable spectacle. Sans doute s'agit-il du fameux Louis-Ferdinand Céline, un médecin de quartier caractériel, bien coonnu dans le coin, qui s'est, une fois de plus, égaré.
Quelques badauds se sont attroupés autour de ce misérable orateur. Je m'arrête, un instant, pour les observer. A leur mise faussement désinvolte, je reconnais quelques petits Marquis de la "République" des Lettres.
L'un d'entre eux, particulièrement cordial, me prend à témoin:
"Comme il s'exprime bien, cet homme! Comme c'est moderne!....Post-moderne! On sent que c'est travaillé! Quel Style!"
Je hausse les épaules, dubitatif. Personnellement, je ne me suis jamais complu dans le prêt-à-parler qui constitue le plus gros de la "Littérature" admise en cette triste époque. Je suis rarement conforme à la ligne éditoriale. On m'invite rarement à dîner. Tant pis pour moi!
J'interroge timidement:
"Mais vous êtes en accord avec ce qu'affirme ce malheureux?
-Mais, mon brave, il faut savoir l'écouter! Visiblement,vous n'avez pas été à la bonne école des gens cultivés. Vous me tenez un discours populiste!"
Sur ces mots, il se pince ostensiblement les narines, comme le font de coutume les gens de sa caste puis poursuit, d'une voix forcément nasillarde:
"N'avez-vous pas vu au terme de cette belle exposition sur la Résistance, place de l'Hôtel de Ville, la photographie de Louis-Ferdinand? Lui a compris que l'homme est, de toutes façons, méchant, qu'il faut être lucide et se résigner".
Je suis abasourdi par cette belle et grande leçon. Je me sens ignorant et minable. Cet homme a forcément raison puisqu'il est issu d'une bonne famille, qu'il est apprécié par d'excellents amis, qu'il bénéficie d'une certaine notoriété et détient d'importantes responsabilitésculturelles.
Avant de m'éloigner, penaud, j'aperçois un voyou de mes amis qui s'est glissé dans la foule. C'est Ribouldingue. Il vient de descendre de la bibliothèque de Robert Desnos, promis à la mort et désigné à ses bourreaux par le si talentueux auteur de "Bagatelles pour un massacre". Il a, pour un instant, délaissé ses inséparables compères: Croquignol et Filochard. Discrètement, il s'approche de mon petit Marquis, qu'il devine financièrement appétissant, et lui subtilise, avec délicatesse, son portefeuille.
Il se tourne vers moi, me voit, me sourit. Je lui rends son sourire. Comment faire autrement? J'apprécie beaucoup plus l'écriture de Forton, le créateur des "Pieds Nickelés" que celle de Louis-Ferdinand Céline.
Tant mieux pour moi!