SUR LE CHEMIN DU BOIS D'AMOUR A PONT-AVEN
Mercredi 29 décembre 2010
Reportage de Dominique Gabriel NOURRY
A moi qui descends d'une longue lignée de meuniers bretons, PONT-AVEN, ville aux multiples moulins, réels et virtuels, donne forcément du grain à moudre....
L'essentiel est de séparer le bon grain du Poétique de l'ivraie du pittoresque !... et ça n'est pas le plus facile !
Les biscuiteries rivalisent avec les galeries et, moi-même, je n'ai pu résister au charme kitsch d'une boite en métal de "Traou Mad"
Pour l'instant, je suis assis au "Café du Centre". Ma compagne est partie contempler la séduisante église de Trémalo que les voyageurs Américains, nombreux autrefois en cette contrée n'ont jamais loupée.
De ma place, au bord de la baie transparente, j'aperçois l'enseigne de la conserverie "La belle îloise" et, en me penchant un peu, la façade sobre de la Pension Gloanec qui surplombe la Maison de la Presse.
Tout cela dans un gris légèrement lumineux.
Mes yeux ne cessent de fixer, malgré moi, l'étrange maisonnette des toilettes, semblable à un oratoire.
Je crois que ce minuscule bâtiment, si élégant sous une reproduction géante de la "Ronde des petites Bretonnes" de GAUGUIN (1888), me déconcerte prodigieusement.
Comment ai-je atterri ici, dans ce bar de Cornouailles, observant, devant moi, les hommes taciturnes, débonnaires et, derrière moi, d'invisibles jeunes femmes, attablées, qui parlent de leurs enfants ?
J'ai tout simplement été séduit par la "une" de la revue "Bretons" à laquelle je suis abonné :
"Les vingt-cinq ans du musée
Pont-Aven célèbre ses peintres "
La Bretonne songeuse qui orne la couverture m'a remis en enfance.
Et dans cette enfance, à la lisière du souvenir, coule l'Aven, bien avant le Musée, bien avant que je ne connaisse le nom de GAUGUIN.
Ma Vie, toute ma Vie, n'est qu'un frêle esquif qu'emporte un Désir qui émane,je veuxle croire, de ce Sens que pointent naïvement les clochers de mon Pays natal.
A ce Désir, le plus souvent possible, je m'abandonne.
Intensément.
Je ne suis pas insensible, pour autant, à la démonstration, même si, en aucun cas, elle ne saurait suffire.
Le reportage de MAIWEN RAYNAUDON KERNERZHO et les photos de GWENAEL SALIOU ont enflammé mon enthousiasme.
Illico, j'ai pris mon billet de train et j'ai réservé une chambre aux "Ajoncs d'or".
Le 28 décembre 2010, vers 13h30, Eva et moi, nous avons poussé la porte GAUGUIN et trouvé une pièce claire, donnant sur de jolis toits, et un lit délicieux.
Pas question de se prélasser, pourtant, ni même de s'abandonner, après avoir avalé une crêpe et un café, aux reflets du Port !
Les Artistes nous appelaient avec insistance au Musée et j'avais hâte de les rencontrer !
Tandis que nous progressions vers cet impératif rendez-vous, je me suis aperçu que XAVIER GRALL nous accompagnait.
En fait, depuis la sortie de la gare, les poèmes de "Rires et pleurs de l'Aven" se murmuraient en mon coeur, dans la semi-inconscience des rêves.
Il s'est tellement imposé que nous avons dû faire de multiples détours avant d'atteindre notre objectif.
Il tenait à nous présenter à tous ses amis, malgré notre ridicule accoutrement de Parisiens.
Celte jusqu'au bout des ongles, il s'arrêtait aussi devant les arbres et les genêts et nous savions qu'il fallait garder le silence.
Avant tout préambule, nous sommes entrés dans une buvette, semblables à celles qui sont "douces à l'aube" et madame GUILLERM nous a servi un verre.
Sur le bord de l'Aven, soudain semblable à une rivière chinoise, nous avons croisé les silhouettes de JEANJEAN et THOMAS.
C'est à peine si je les ai aperçus : je regardais trop l'eau onduler, dégageant l'étrange typographie, en ses moindres vagues du livre exquis.
"L'écume crémeuse de la rivière dans la bouche, des sargasses d'herbe dans les cheveux, le Baron s'en est allé au rendez-vous des Taciturnes"
Et XAVIER GRALL, lui-même, ressemblait au Baron lorsqu'il nous a quittés pour rejoindre les ombres de ses compagnons disparus : MICHEL TERSIQUEL, GEGE-TROMPETTE et même ANDRE EVEN, "sujet" d'un poème du Témoin Lyrique que je dédie à toutes mes amis Bretonnes :
"Belles de l'Aven, AZNAvourez-moi
car je m'enamoure de minois dentelles
et bagatelles
Ne suis point d'Arménie et ne chante
D'être né à Pont-Aven m'enchante
André Even telle est donc ma signature
Je peins les blés et les colzas sans fioriture
Belles de l'Aven, aznavourez-moi
car je m'enamoure de minois et dentelles
et, Dame, vive la bagatelle ! "
Si la Bohème Parisienne s'est autrefois réfugiée à Pont-Aven, est-ce uniquement pour la belle lumière qui tombe sur la pierre et la tendresse maternelle d'une bonne hôtesse ?
Me remémorant ces vers, je me sens saisi d'un doute : les femmes que je croise, même dénuées de coiffes, sont très belles...
Je me sens aussi saisi par la manche. Je me tourne, détourne et retourne tant et plus et ma compagne trouve qu'il est plus que temps d'aller au Musée !
Malencontreusement, nous tombons à l'heure de la visite guidée. Très certainement, les visiteurs sont enchantés d'entendre la passionnante conférencière.
Mais moi, vieux grognon que je suis, je me voue à l'inculture et je préfère regarder dans la transparence d'un grand silence !
Quitte à me documenter plus tard !
De plus, je papillonne dans tous les sens, incapable de m'adapter à l'ordre préétabli des tableaux.
Le premier qui me sollicite, parce qu'il m'a profondément troublé reproduit tout petit dans le magazine "Bretons", c'est le "Paysage rocheux" de CHARLES FILIGER.
Si mon âme doit être un jour un "paysage choisi", ce sera très certainement celui-là, avec ces étonnantes couleurs-là qui ne se trouvent, qui ne s'apprennent nulle part mais surgissent, du bout des doigts, sur la toile.... ou sur la page !
Je me vois bien, devant mon clavier d'ordinateur, semblable à HENRY MORET peint en train de peindre par JULES LE RAY en 1893.
Pas de Synthèse ! Ne comptez pas sur moi pour vous parler du SYNTHETISME ! Et si les Nabis me laissent baba, moi qui crois aux Fées et aux Prophètes, je ne suis pas Critique d'Art.
Je laisse la parole aux Artistes d'Avant-garde, comme l'ami MAUFRA auquel sont présentées deuc étranges femmes en coiffe, absentes ou pudiques.
Je regarde....
Un peu moins qu'Eva le "Retour de l'église de Trémalo" d' OTTO WEBER.
Un peu plus "Les porcelets" de PAUL SERUSIER
Beaucoup plus la "Bretonne en noir", peinte par HENRI DELAVALLEE.
Ce que j'aime, c'est l'Amour réel que ces peintres éprouvent pour ce pays, mon pays.
Nul n'est Nabi en son pays, peut-être, hormis XAVIER GRALL et son ami GLENMOR.
Ces gens-là, d'ailleurs, ne sont pas encore Nabis. Les Nabis se synthétiseront à Paris !
Pour l'instant, les peintres de l' Ecole de Pont-Aven peignent ûne Tradition, des êtres humains, des animaux, des bâtiments, réinventent et font chanter la couleur et s'éprennent, dans leur Art lui-même, de la feinte naïveté de leurs "sujets" qu'ils ne métamorphosent jamais en objet.
On n'entend plus la voix de la charmante guide, cette sirène qui, me séduisant par ses beaux et savants discours, a failli m'éloigner tant de ma sensibilité que les terrifiants écueils de l'analyse m'ont épargné de peu.
Nous sommes presque seuls, à présent, dans la salle et toutes ces toiles nous observent.
Pour conjurer le sort je murmure avec XAVIER GRALL :
La Plainte du Christ Jaune
Des vers dans les yeux, des araignées
dans les plaies
Hommes oublieux, que je jaunisse
et agonise
J'entends vos ingrats kenavos
à Tremalo
Mon bon larron fut PAUL GAUGUIN
génial voyou
Il sut peindre mes sanglots mon chagrin
pauvre fou
A présent j'attends PAUL VERLAINE
Il prendra ma vieille peine
car il m'aima dans son cachot
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Et dans le fracas du T.G.V., je referme la page de ce naïf voyage.....